Gibe III, symbole d’une Éthiopie qui se rêve en futur géant énergétique
Samedi 17 décembre, le premier ministre éthiopien en personne, Haile Mariam Dessalegn, a inauguré Gibe III, le troisième barrage le plus puissant d’Afrique.
Après neuf années de travaux et plus d’1,5 milliards d’euros investis, c’est désormais un ouvrage de 243 mètres de haut qui surplombe la vallée de la Turkana, au sud d’Addis-Abeba. Financé à 40% par l’Etat et à 60% par la China Exim Bank, celui-ci s’inscrit dans une série de réalisations hydroélectriques le long de la rivière Omo.
Érigé en fierté nationale, il est surtout le symbole d’un pays en pleine mutation, et qui désire s’affirmer comme un grand d’Afrique. Aujourd’hui encore un des États les plus pauvres du monde, le pays de Koush souhaite en effet s’appuyer sur sa puissance démographique (91 millions d’habitants) et sur un grand projet d’infrastructures énergétiques pour soutenir une croissance économique parmi les plus importantes au monde, 10,2% en 2015.
L’objectif de ces investissements ? Devenir un exportateur net d’énergie propre, dans la mesure où le territoire national ne recèle aucune ressource en pétrole et en gaz. En effet, l’Éthiopie est déjà pionnière en matière d’éolien. En 2013, le pays a inauguré à Ashegoda le plus grand parc éolien d’Afrique subsaharienne.
Cependant, de nombreux observateurs pointent du doigt le fait que la construction du barrage Gibe III a démarré en 2006, avant même son approbation par l’agence éthiopienne de l’environnement.
Car alors que l’ancien royaume d’Aksoum connaît sa pire sécheresse depuis la terrible famine de 1984, Gibe III suscite également l’inquiétude du côté des populations en aval. Dans un pays en État d’urgence où les protestations anti-gouvernementales sont sévèrement réprimées, beaucoup critiquent des études d’impact officielles peu poussées et arrêtées à la frontière avec le Kenya voisin.
En effet, dans la vallée en aval, plus de 90 000 membres des tribus Dassanech, Turkana et Gabbra dépendent du lac Turkana, à cheval entre Éthiopie et le Kenya, et dont 90% des eaux proviennent du fleuve Omo. En 2011, le comité du patrimoine mondial de l’UNESCO, l’agence des Nations unies pour la culture et l’éducation, avait appelé Éthiopie « à arrêter immédiatement tous travaux de construction » de Gibe III.
En attendant, les autorités ont regroupé nomades et bergers expropriés dans des villages. Selon elles, des inondations artificielles seront pratiquées régulièrement pour alimenter les plantations de sorgho des populations locales. Le Kenya, lui, reste silencieux, alors qu’Addis-Abeba se penche déjà sur un nouveau projet de barrage sur le Nil, « Grande Renaissance, le barrage du Millénaire ». Mais cette fois-ci, Soudanais et Égyptiens entendent bien faire entendre leurs voix. Car en Afrique, comme en Asie, le contrôle des réserves hydrauliques sera l’un des enjeux majeurs des prochaines décennies.